
En temps normal, l’arrivée de l’été et des grandes festivités en Haïti marque une période d’effervescence culturelle, avec des concerts, festivals et fêtes champêtres qui rythment la vie sociale. La culture haïtienne, autrefois vibrante et omniprésente dans la vie quotidienne du pays, semble aujourd’hui être en pause forcée. Alors que la période estivale approche, marquant normalement le début des festivités, l’atmosphère reste plombée par l’insécurité, la crise économique et l’instabilité politique. Malheureusement, cette année encore, ces crises plongent le secteur culturel dans une situation sans précédent, forçant de nombreux événements à être reportés, annulés ou même délocalisés à l’étranger.

Même le carnaval prévu cette année à Fort Liberté a été contraint d’être annulé à cause de l’insécurité grandissante. Les bandes à pied, éléments incontournables du folklore haïtien, ne résonnent plus dans les rues animées des grandes villes. Autrefois symbole de joie et d’unité, elles subissent de plein fouet l’impact de l’insécurité, notamment à Port-au-Prince, où les déplacements sont de plus en plus restreints en raison de la montée en puissance des groupes armés.
Plusieurs événements phares risquent de ne pas voir le jour ou d’être déplacés hors du pays. Le festival Sumfest, initialement prévu à Wahoo Bay Beach, se tenait désormais à Miami, un coup dur pour les amateurs de musique en Haïti. Les fêtes champêtres du Nord, du Centre et du Sud, qui étaient l’occasion de grandes célébrations locales, sont fortement perturbées. Le Festival de la Mer à Saint-Louis du Nord, l’un des événements musicaux les plus attendus, pourrait ne pas avoir lieu, tout comme le Festival PAPJAZZ, institution pour les passionnés de jazz. Les grandes soirées dans les hôtels Karibe, El Rancho et Marriott à Port-au-Prince, autrefois incontournables, sont devenues rares. La fête du Cap-Haïtien, où Nu Look et Tropicana d’Haïti faisaient vibrer le boulevard chaque année, pourrait être annulée. Même les concerts d’artistes majeurs comme Mizik Mizik, Beethova Obas, Boukman Eksperyans et Tabou Combo, qui attiraient autrefois des milliers de spectateurs, sont menacés.
Face à cette situation, plusieurs artistes haïtiens se retrouvent à annuler ou reporter leurs spectacles par crainte des risques liés à l’insécurité. Certains ont même choisi l’exil, cherchant à poursuivre leur carrière sous d’autres cieux, notamment aux États-Unis, au Canada et en République Dominicaine. Les grandes figures du compas et de la musique urbaine privilégient désormais des concerts à l’étranger. Tropicana d’Haïti, Septentrional, Nu Look, Klass, Kaï, Zafem, Vayb, Roody Roodboy, Rutshelle Guillaume, Bedjine et Kadilak préfèrent organiser leurs tournées hors d’Haïti, loin des menaces et des contraintes sécuritaires du pays.
Le ralentissement de l’activité culturelle en Haïti ne touche pas seulement les artistes. C’est tout un écosystème de professionnels qui souffre de cette crise. Les techniciens du son et de la lumière sont privés de travail faute d’événements. Les organisateurs d’événements et promoteurs hésitent à investir dans des concerts par peur de pertes financières. Les restaurateurs, hôteliers et marchands ambulants, qui dépendent des événements culturels pour survivre, sont aussi durement touchés. Cette situation plonge encore plus le pays dans une précarité économique grandissante, où la culture, pourtant pilier de l’identité haïtienne, semble être mise en veilleuse.
Malgré ce constat alarmant, certains acteurs du milieu culturel refusent d’abandonner. Des initiatives émergent pour tenter de maintenir la flamme culturelle vivante, notamment à travers des concerts, permettant aux artistes de se produire malgré les restrictions, des événements organisés à l’étranger, offrant aux artistes haïtiens une scène pour s’exprimer, ou encore des actions locales visant à sécuriser certains espaces pour permettre la tenue de petites représentations. Cependant, sans une amélioration de la situation sécuritaire et une stabilisation politique, la culture haïtienne risque de rester en pause pour une durée indéterminée.
Avec l’acquisition par l’État haïtien de nouvelles armes technologiques et l’introduction des drones kamikazes pour lutter contre l’insécurité, peut-on espérer le retour à la sécurité du pays ? Verrons-nous bientôt renaître les grandes soirées musicales et les festivités emblématiques qui font l’âme d’Haïti ? La culture haïtienne, qui a toujours été un symbole de résilience et d’unité, saura-t-elle retrouver son souffle malgré les défis actuels ? L’avenir nous le dira.